PRÉFACE
Avec une population de plus de 13 millions d’individus, le chat est l’animal de compagnie le plus présent dans les foyers français. Le désigner comme « animal de compagnie » n’est d’ailleurs pas tout à fait adapté : le chat ne saurait souffrir d’une telle fonction. Plus qu’un animal « de compagnie », il est davantage un « animal compagnon », une espèce d’une complexité et d’une diversité infinies, qui, au fil des siècles, a su garder une part de liberté. C’est bien cela qui est fascinant chez le chat : mi domestique, mi sauvage, il est multiple et capable de s’adapter à de nombreuses situations différentes. C’est en cela qu’il est libre : libre de faire ses propres choix, de se lier ou non à un être humain, et d’en devenir, ou non, l’animal « compagnon ».
Malgré l’amour immense que nous lui portons, et ce plaisir croissant que nous avons à l’admirer et à vivre en sa compagnie, de l’antiquité égyptienne à l’ère des « lolcats » sur Internet, le chat demeure une espèce mystérieuse dont la vie secrète ne finit pas de susciter notre curiosité. Tantôt dorloté sur un canapé, tantôt errant dans les rues, il revêt de nombreux paradoxes. L’un d’eux est intimement lié à la relation que nous entretenons avec lui, puisqu’il est à la fois l’objet de la plus grande bienveillance, mais aussi de la plus grande méconnaissance. Pour quelle autre espèce a-t-on autant d’égards et autant d’amour, et pourtant si peu de savoirs ?
Au cours de ma carrière de vétérinaire et de comportementaliste, mais aussi, plus généralement, au cours de ma vie de protecteur des animaux, je me suis en effet rendu compte que même les plus aimés des chats pouvaient éprouver une réelle souffrance due à la méconnaissance de leurs propriétaires. Cela pose des questions éthiques auxquelles, hélas, trop peu de personnes osent se confronter : à quel prix puis-je imposer une vie à mon chat, alors que celle-ci ne lui correspond peut-être pas ? est-il éthique et responsable de faire vivre un chat dans un appartement, sans possibilité de sortir, et le laisser seule dix heures par jour, sans la moindre source d’occupation (le confinement vous a peut-être poussé à y réfléchir…) ? De même, si je décide de le stériliser, quel impact cette intervention aura-t-elle sur son intégrité, sur son développement et son comportement hormonal, ainsi que sur son système immunitaire ? Ou encore : « sauver » un chat errant en le recueillant chez soi est-il vraiment dans son intérêt, ou bien est-ce un acte purement anthropomorphique ?
Lors de nos consultations en médecine du comportement, Sarah Jeannin et moi-même rencontrons chaque semaine des chats ayant développé des comportements « gênants » pour leurs propriétaires : agressivité, malpropreté, miaulements intempestifs… Presque toujours, ces chats sont dans une situation de mal-être parce que leur environnement ne correspond pas à leurs besoins. Nous émettons alors des recommandations pour que le foyer, chat compris, puisse retrouver l’harmonie (enrichissement de l’environnement, aménagements pour que le chat puisse sortir, ou se nourrir autrement, etc.).
Mais parfois, cela n’est pas suffisant. Lorsque la famille et l’animal sont dans une impasse, la ferme-refuge de l’association AVA (Agir pour la Vie Animale), dont je suis le fondateur et le président, offre une alternative à des chats qui étaient menacés d’euthanasie en raison de leurs comportements « indésirables ». C’est au cœur de ce véritable sanctuaire, situé en
pleine campagne normande, dans un écrin de verdure, que des chats qui étaient condamnés trouvent un havre de paix où ils pourront prospérer jusqu’à la fin de leur vie. Une centaine de chats y sont actuellement hébergés en collectivité, en liberté, au sein de nos chatteries extérieures d’un hectare qui sont verdoyantes, pensées et aménagées pour eux. C’est là qu’ils trouvent la vie de chats libres dont ils avaient généralement besoin pour recouvrer un état de bien-être. Ils y sont libres de faire leurs propres choix, d’exprimer leurs comportements naturels (chasser, explorer, manger, dormir, éliminer où bon leur semble), de se lier ou non aux soigneurs qui s’occupent d’eux, de se mouvoir dans la chatterie ou ailleurs, dans les 75 hectares du domaine.
Teddy est un symbole de l’action que mène AVA pour ces si nombreux félins en souffrance dans leur foyer : ce chat m’a été présenté en consultation il y a près de deux ans, après qu’il a défiguré ses propriétaires très âgés. Teddy vivait alors en appartement, et ne supportait pas cet environnement, ce qui occasionnait chez lui de terribles crises d’agressivité. A la ferme-refuge AVA, nous lui avons permis de faire absolument tout ce qu’il voulait. Il a de lui-même choisi de s’installer dans le bâtiment principal du refuge où la présence humaine – de nos soigneurs – est la plus importante. Il partage son quotidien avec d’autres chiens et chats âgés qui vivent tous ensemble dans ce lieu. Depuis son arrivée, Teddy n’a jamais montré le moindre signe d’agressivité. Il est au contraire très proche des humains, en demande constante d’attention, et nous émeut même à tenir compagnie aux animaux les plus vulnérables lorsque ceux-ci ont besoin de soins. Bien loin d’être un chat extrêmement dangereux, Teddy avait simplement besoin d’un environnement adapté à ses besoins.
Chaque jour, l’association Agir pour la Vie Animale reçoit des dizaines de demandes de prises en charge pour des chats comme Teddy. Si leurs propriétaires souhaitent nous les confier, ce n’est pas pour les « abandonner », mais bien parce qu’ils ont pris conscience de l’incompatibilité entre les besoins de leur chat et la vie qu’ils leur offraient. C’est donc un acte responsable, sur lequel je ne porte aucun jugement. Mon seul regret est peut-être lié au fait que cette prise de conscience se fasse trop tard, alors qu’elle aurait pu être évitée si seulement les êtres humains avaient été plus connaissants.
Vivre en compagnie des chats, et côtoyer ceux qui les protègent, m’ont permis de porter un regard sur toutes ces questions éthiques. Mais s’y confronter n’est malheureusement pas à la portée de tous car les réponses ne sont pas forcément celles que les amis des chats souhaitent entendre. Il faut beaucoup d’humilité pour arriver à faire fi de ses émotions humaines et s’enrichir de connaissances scientifiques pour accepter des réalités qui sont parfois très éloignées de nos interprétations.
C’est ce que vous propose ce livre qui, je l’espère, vous apportera toutes les connaissances pour donner plus de sens à votre si grande bienveillance à l’égard des chats.
Thierry Bedossa